Le Seigneur des porcheries
Ou le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes De Tristan Egolf
Une adaptation théâtrale De Nelly Framinet
Une amie m’offre un jour ce roman : Le Seigneur des porcheries. Étourdie par la langue, je plonge dans ces six cents pages, fascinée par cette écriture et par tout ce que cela provoque chez moi : colère, tendresse, rire. Je me reconnais immédiatement dans cet auteur et musicien punk : dans sa critique de notre société, dans la compassion et la tendresse qu’il a pour tous les « damnés », dans son incompréhension face à l’ampleur de la stupidité humaine, dans son humour tranchant, cynique et dans son écriture, cette langue qui claque aux oreilles, qui réveille physiquement, comme un bon concert punk.
Ayant grandi à la campagne dans un milieu paysan, je reconnais le décor que plante Tristan Egolf : un milieu parfois rustre, à l’esprit étriqué, fait de mesquineries, jalousies, croyances, racisme, peur, et qui est, paradoxalement, entouré d’une nature splendide. L’histoire de John Kaltenbrunner, soudain, m’est proche. Tristan Egolf décrit un coin perdu de l’Amérique et c’est aussi mon village, avec son lot de scènes à la fois banales et invraisemblables, glauques et grotesques où la réalité dépasse parfois la fiction. On dit qu’Egolf aurait commencé à écrire Le Seigneur des porcheries pour en faire une chanson pour son groupe avant d’en faire un roman. Anecdote véridique ou pas, le rapport musical qu’il a à l’écriture est évident, charnel. Quand on lit ce texte à voix haute, ça devient physique, il y a comme un défi à relever à mettre ce texte en bouche. C’est donc naturellement que j’ai eu envie d’accompagner ce flow, cette logorrhée avec de la musique. Rock. Ce projet d’adaptation est pensé pour le théâtre, pour ce lieu où je crois au collectif, pour cet endroit privilégié où rêver, fantasmer à plusieurs un autre monde est possible, et où le groupe se révèle indispensable à sa réalisation - de la même manière que c’est collectivement que les éboueurs du Seigneur des porcheries ont pu changer les choses.
L’histoire se passe à Baker, dans l'Amérique profonde, une petite ville remplie d'ivrognes, de créationnistes, et de « rats d'usine ». Les éboueurs, emmenés par John Kaltenbrunner, ont mené une grève qui a plongé l'ensemble de la communauté dans le chaos. La porcherie humaine, cette part sombre, triviale, qui a été mise à jour durant ces semaines de grève n’est pas belle à voir et tous les habitants tentent d’oublier ou de réécrire cette page de leur histoire. Ce récit, en relatant les faits, est là pour rappeler la vérité. Il jette également un regard nouveau sur la vie de John Kaltenbrunner, en revenant à ses origines, et tente de déceler le vrai du faux, le fantasme de la réalité. Cette enquête sur la véritable histoire de John, rend hommage à ce souffle de révolte, à cet être capable de tout. J’aime la question que le roman soulève sur notre rapport à l’Histoire et à la mémoire. Le leitmotiv de cette parole est puissant : les éboueurs doivent s’exprimer pour combattre l’oubli et le mensonge. Cela fait écho chez moi et m’interroge chaque jour. Quelle est l’Histoire qu’on nous transmet ? Comment est-elle écrite ? Selon quel point de vue ? Peut-on la réécrire ? Tirons-nous des leçons de celle-ci ?
Ce qu’exprime Le Seigneur des porcheries est intemporel car force est de constater que nous tirons rarement des leçons du passé. En mettant en scène des gens méprisés, marginaux et qui ont eu le courage de dire non, Tristan Egolf nous parle de désobéissance, de ce petit déclic, que nous pouvons tous avoir, qui suffit pour faire bouger les lignes, pour infléchir le cours de l’histoire. Mais l’auteur ne se fait aucune illusion et ne donne aucune morale avec cette histoire, il ne nous fait espérer aucun changement en profondeur de la société, le chantier paraît trop vaste. L’essentiel à la fin de cette épopée est que, même si la société n’a pas vraiment changé, rien ne sera plus comme avant et que tous ceux qui l’ont vécue en sortent différents.
Aujourd’hui cette histoire a une résonance toute particulière avec la crise sanitaire et les « premiers de cordée », ces hommes et ces femmes dont les emplois méprisés se sont révélés indispensables à nos sociétés. Ces personnes invisibilisées par notre société sont sorties de l’anonymat. Ici, grâce à leur grève, les éboueurs deviennent des héros car ils représentent la seule frontière qui sépare cette société malade, de la barbarie et du chaos. Ils deviennent les garants de notre civilisation. Je souhaite faire entendre ce texte, il est puissant, sensible et contient une colère et un humour dont nous avons besoin. Dans cette période que nous traversons, dure mais aussi enivrante, face à la multiplicité des luttes mondiales, il résonne. Il rappelle aux êtres humains leur besoin vital de dignité et leur nécessaire devoir de révolte ; il pointe la bêtise et stupidité humaine avec un humour noir ; et enfin il met l’accent sur l’amitié, le collectif, sans lesquels rien ne serait possible. C’est un matériau fantastique pour le théâtre : un récit direct, une fable incroyable et un sens de l’humour acide.
Porteuse de projet : Nelly FRAMINET, Marie DENYS -Comédienne, Sophie JASKULSKI -Comédienne, Gaétan LEJEUNE – Comédien, Ségolène NEYROUD – Musicienne, Julien COURROYE – Musicien, Karine JURQUET- Assistante à la mise en scène, Aline BREUCKER – Scénographe, Nicolas THILL – Régisseur / Éclairagiste.
Projet soutenu par la Fédération Wallonie Bruxelles qui a octroyé une bourse de recherche. La Maison des cultures de St Gilles qui accueille deux semaines en résidence en Mars 2022. La chaufferie acte I qui accueille deux semaines en résidence en Janvier 2022. La Fabrique de théâtre qui accueille deux semaines dans son théâtre pour une toute première résidence en Mai 2020. Le théâtre Marni qui accueille un travail à la table en Mai 2019. Le centre culturel de Forest, Le BRASS, qui accueille un travail à la table en Février 2019.
L'équipe est en résidence d'échauffement à La chaufferie, deux semaines en janvier 2022.